Faire en sorte que tout franc dépensé soit un franc utile
Annoncée depuis 1997, c’est finalement le 6 novembre 2015 que la Loi relative aux lois de finances (LOLF) a été adoptée, à l’unanimité, par les députés du Conseil national de la Transition (CNT). Cette adoption fait suite à la mise en place, le 29 décembre 2009, du Secrétariat technique du Comité de pilotage du budget-programme de l’Etat (ST-CPBPE). Cette structure, qui était pilotée par Amina Billa/Bambara a fortement œuvré à outiller les acteurs de la programmation budgétaire des administrations publiques et privées au Burkina. ministre déléguée de la Transition, chargée du Budget, Amina Billa/Bambara, a également été chargée, une fois encore, à faire avancer cette réforme. C’est ainsi que l’ex-coordonnatrice du budget programme, a été appelée à défendre le projet de LOLF. Dans cet entretien, la ministre nous présente le contenu de cette loi qualifiée de constitution financière et interpelle les nouvelles autorités quant à l’application de cette loi porteuse de développement accéléré au Burkina Faso.
« Le Pays » : D’où vient l’idée de l’adoption de la Loi relative aux lois de finances ?
Amina Billa/Bambara : Merci de donner cette opportunité au gouvernement de la Transition pour qu’il communique sur cette loi, la plus importante des 40 dernières années dans la gestion des finances publiques. Quant au contexte de son adoption, il faut dire que c’est dans la nécessité d’instaurer dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) dont le Burkina Faso est membre, des règles permettant une gestion transparente et rigoureuse des finances publiques que le Conseil des ministres de l’UEMOA a adopté, en 2009, un ensemble de directives constitutives du cadre harmonisé des finances publiques au sein de l’espace.
Il s’agit, en plus du « Code de transparence » dans la gestion des finances publiques, Les directives que sont : la Loi relative aux lois de finances ; le Règlement général sur la comptabilité publique (RGCP) ; la Nomenclature budgétaire de l’Etat (NBE); le Plan comptable de l’Etat (PCE) et le Tableau des opérations financières de l’Etat (TOFE). Le conseil a instruit les pays d’internaliser l’ensemble de ces cinq directives dans leurs législations nationales au plus tard en fin décembre 2011. C’est ainsi que la directive portant Code de transparence a été internalisée, par le Burkina Faso, à travers l’adoption à l’Assemblée nationale de la loi n°008-2013/AN du 23 avril 2013 portant code de transparence dans la gestion des finances publiques. C’est dans ce sens également que le 6 novembre 2015 est intervenu l’adoption, à l’unanimité, des députés présents du Conseil national de la Transition (CNT), toutes tendances confondues de ce qui est appelé la «constitution financière» de l’Etat burkinabè. Du faite qu’elle soit élevée au rang de loi organique, la loi relative aux lois de finances est prédominante sur les autres lois régissant les finances publiques et sa modification ne sera plus aisée. Elle ne pourra se faire que par voie constitutionnelle.
Pouvez-vous nous présenter cette loi ?
C’est une importante réforme qui a un double objectif. D’abord, de moderniser le cadre juridique, comptable et statistique des finances publiques afin qu’ils soient conforme aux standards internationaux. Il s’agit ensuite de passer de la logique de gestion par les « moyens » à la logique de gestion par les « résultats ». En instaurant la Gestion axée sur les résultats (GAR) avec son outil d’opérationnalisation qu’est le budget programme, la nouvelle loi permettra de donner une plus grande visibilité aux actions des pouvoirs publics, d’accroître la contribution des finances publiques dans le développement économique de notre pays et de l’inscrire résolument dans une démarche de gestion transparente des finances publiques. Cela a pour finalité d’améliorer l’efficacité de la dépense publique et la performance des services de l’Etat. Cette loi introduit trois types de réformes majeures, à savoir la réforme budgétaire avec l’introduction du budget programme, la réforme du contrôle et celle de la comptabilité.
Quel est le contenu des réformes budgétaires ?
Le budget programme est le principal élément innovateur. Le contexte économique national qui demande une plus grande efficacité des politiques publiques a remis au centre du débat public, la question de la GAR. Ainsi, de nombreuses réformes sont entreprises dans notre pays telle l’introduction du budget programme comme outil de gestion des finances publiques. Cette initiative, pour atteindre ses objectifs, doit être accompagnée d’une refonte globale de l’Etat. Il s’agit d’une « nouvelle administration publique » que le budget programme entend impulser, non pas seulement une gestion publique modernisée ou rénovée, mais une gestion publique participant d’un autre type de gouvernance systémique de l’Etat qu’il va falloir entendre comme une autre manière de gouverner. A chaque phase de la dépense publique dans le budget- programme, sont introduites des innovations telles que le regroupement des crédits des ministères et institutions par programmes/dotations ; la programmation pluriannuelle dans la budgétisation (3 années glissantes retenues) des dépenses en vue de garantir la sécurité de l’investissement sur sa durée de vie ; pluriannualité (avec une possibilité de report de crédits d’investissement) ; l’institution du Débat d’orientation budgétaire (DOB) au plus tard le 30 juin de l’année précédant le budget en cours d’élaboration. Ceci, pour permettre d’avoir l’avis du Parlement sur les grandes orientations du budget de l’année n+1. Il y a aussi l’institution d’un nouveau principe, celui de la «sincérité budgétaire». En effet, en plus des principes d’unicité, d’universalité, d’annualité et de spécialité, la sincérité budgétaire oblige à être sincère dans nos déclarations (en recettes et en dépenses). Le Code de transparence impose également que les budgets soient réalistes et sincères tant dans les prévisions des dépenses que des recettes. En outre, il y a la liberté de gestion à travers l’exercice de la fongibilité asymétrique dont le réaménagement des crédits budgétaires en cours d’année dans un sens unique des dépenses de personnel vers le fonctionnement et vers l’investissement. Et pour finir, on note l’apparition d’un nouvel acteur central dans le pilotage de l’action publique ; c’est le responsable du programme.
Une des innovations majeure dans les réformes budgétaires et qui peut être appréciée par les acteurs est la déconcentration de l’ordonnancement. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet aspect ?
Chaque ministre sectoriel et président d’institution constitutionnelle devient ordonnateur principal des crédits des programmes ou de la dotation de son ministère ou de son institution excepté les crédits liés aux soldes du personnel. Chaque ordonnateur principal pourra, d’une part, déléguer sa signature à des collaborateurs chargés de l’exécution de certaines dépenses centrales et, d’autre part, ses compétences à des ordonnateurs secondaires. Les ordonnateurs principaux rendent compte de la qualité de leur gestion par l’atteinte des objectifs préalablement fixés. Le corollaire de cette responsabilisation est une plus grande marge de manœuvre dans la conception et la gestion des politiques publiques. Aussi, ils sont désormais justiciables devant la Cour des comptes. Cela justifie d’ailleurs la nécessité de l’instauration de la Cours de discipline budgétaire à la Cours des comptes. Le ministre chargé des finances est responsable de la centralisation des opérations budgétaires des ordonnateurs, en vue de la reddition des comptes relatifs à l’exécution des lois de finances. Il reste aussi ordonnateur principal unique des recettes du budget général, des comptes spéciaux du Trésor et de l’ensemble des opérations de trésorerie. Il prescrit l’exécution des recettes, constate les droits de l’Etat, liquide et émet les titres de créances correspondants. Le ministre chargé des finances est ordonnateur principal des crédits, des programmes et des budgets annexes de son ministère. Il est également responsable de l’exécution de la loi de finances et du respect des équilibres budgétaire et financier définis par celle-ci. A ce titre, il dispose d’un pouvoir de régulation budgétaire qui lui permet, au cours de l’exécution du budget, d’annuler un crédit devenu sans objet au cours de l’exercice ou d’annuler un crédit pour prévenir une détérioration des équilibres budgétaire et financier de la loi de finances.
Qu’en est–il des réformes sur le contrôle ?
La réforme du contrôle privilégie désormais le contrôle a posteriori au détriment du contrôle a priori de la dépense. Elle présente les trois types de contrôles devant encadrer l’exécution du budget.
Il s’agit du contrôle administratif qui est celui exercé par l’Administration sur ses agents. Ce contrôle est organisé en contrôles hiérarchiques, fonctionnels ou organiques à côté desquels subsiste le contrôle financier relevant des attributions du Ministre chargé des finances : c’est les contrôles a priori. Il y a aussi le contrôle de la juridiction des comptes, le contrôle a posteriori. Le contrôle de la Cour des comptes est renforcé car désormais elle doit apprécier la gestion des programmes et des dotations. Elle doit émettre un avis sur les rapports annuels de performance. Quant à la Cour des comptes, son rôle est également renforcé, notamment en matière de contrôle et d’évaluation, ainsi qu’en matière de sanction des fautes de gestion, notamment sur la qualité de la gestion et la bonne exécution des programmes des ordonnateurs. Enfin, nous avons le contrôle parlementaire qui se voit également renforcé grâce à l’amélioration de l’information communiquée au Parlement. Le Parlement reçoit un rapport trimestriel, et le gouvernement justifie les ressources au franc près ; les parlementaires évalueront les résultats obtenus par l’Administration.
Mais il est institué une mission de contrôle a posteriori à la charge des contrôleurs financiers afin d’évaluer les résultats et les performances des programmes. Il ne s’agira plus d’axer le contrôle uniquement sur les procédures, mais plutôt sur les résultats. Il est attendu un allègement du contrôle a priori et un renforcement du contrôle a posteriori qui permettra plus de célérité dans l’exécution de la dépense publique.
Qu’en est-il des réformes de comptabilité ?
La comptabilité publique fera désormais l’objet d’une refonte, afin de la rendre plus proche de la comptabilité des entreprises privées, permettant notamment une approche patrimoniale des comptes de l’Etat. Ce sera une comptabilité unique à trois dimensions (comptabilité budgétaire complétée, comptabilité générale, comptabilité d’analyse des coûts). Cette réforme de la comptabilité est donc articulée autour de la comptabilité générale de l’Etat établie en droits constatés : Les opérations sont prises en compte au titre de l’exercice auquel elles se rattachent, indépendamment de leur date de paiement ou d’encaissement.
Quelle est la valeur ajoutée de cette loi à l’Etat ainsi que pour les agents et pour la population ?
Cette réforme qui vient corriger les insuffisances liées au système de gestion budgétaire actuel, appelé «budget objet» ou «budget de moyens», est conçu par nature de dépenses où la performance s’apprécie par les taux d’exécution surtout financiers au lieu de mesurer l’efficacité et l’efficience des réalisations faites en termes de valeur ajoutée dans la quête du développement. En effet, dans le système actuel, il est difficile de faire le lien entre les dépenses publiques et les objectifs des politiques publiques que l’on souhaite atteindre. Ce système en vigueur ne permet pas de sanctionner les gaspillages de ressources. A travers cette nouvelle constitution financière de l’Etat, il reviendra de faire en sorte que tout franc dépensé soit un franc utile. Juste pour dire que l’Etat doit concentrer ses structures et ses interventions sur les attentes et les besoins des citoyens. De plus, l’amélioration de la qualité du service fait que la relation avec l’usager devra être le leitmotiv permanent de l’Administration. L’introduction du budget programme dans la gestion des finances publiques permettra de rationaliser les procédures administratives et les règles de droit qui auront un impact décisif en termes d’économies et de qualité de service, pour l’Etat comme pour les usagers. La réduction considérable du poids des démarches administratives qui pèsent sur les entreprises, constituera un gain de temps et d’argent pour tous. C’est donc plus d’efficacité et de compétitivité au service de la croissance. Le partage des bonnes pratiques devra être une source d’inspiration et de progrès continu pour remettre l’usager au centre du service public. Désormais, l’accent sera mis sur les résultats concrets qui peuvent être attendus de la mobilisation et de l’utilisation des moyens financiers et non plus exclusivement sur la régularité de l’utilisation des moyens financiers. Ce sera donc les procédures au service de l’Administration et non le contraire.
Quelle garantie pouvez-vous nous donner sur l’application intégrale de cette loi à l’échéance communautaire prévue pour janvier 2017?
C’est vrai que j’ai un sentiment de satisfaction avec l’adoption de cette loi. Car cela marque le franchissement d’une étape capitale de la réforme des finances publiques entreprise dans notre pays pendant un certain temps. Elle vient confirmer une fois de plus la volonté politique déjà affichée depuis la dernière relance du processus en fin 2009 par la mise en place des nouveaux organes de pilotage. Aussi, l’adoption de cette loi vient lever le doute de ceux qui pensaient jusque-là que l’approche budget programme n’est que de l’utopie même si on les comprend puisque c’est depuis 1997 qu’on en parle au Burkina. Mais il faut dire que cette loi organique relative aux lois de finances, nécessite une adaptation du dispositif organisationnel, institutionnel ainsi qu’une révision des procédures. Pour ce faire, il est important d’instaurer une conduite du changement sur les court et moyen termes et identifier des mesures d’accompagnement à mettre en œuvre. C’est dire qu’il est difficile de dire qu’on est prêt à 100%. Mais, nous pensons que beaucoup d’acquis ont été engrangés depuis la mise en place des nouveaux organes de pilotage en fin 2009. Le processus doit être parachevé par la mise en œuvre de certaines actions pour un basculement réussi. Il s’agit de l’accélération du processus d’adaptation du système d’informations des finances publiques à l’approche budget programme qui constitue un risque majeur de la réforme ; de l’adoption de la maquette des programmes budgétaires, principal intrant du budget programme, en Conseil des ministres ; de la mise en place d’une organisation des structures du MEF aptes à accompagner les ministères et institutions dans cette nouvelle réforme ; de la nomination des responsables de programme ; de la poursuite du renforcement des capacités de l’ensemble des acteurs et de la révision générale des politiques publiques.
Avez-vous un appel à lancer aux futures autorités du pays ?
Au regard des différentes innovations consacrées par la loi, la mise en œuvre intégrale de ces dispositions ne pourrait intervenir qu’à partir des travaux d’élaboration, de présentation, de vote et d’exécution de la loi de finances gestion 2017. Même si la LOLF intègre indiscutablement une dimension budgétaire et comptable, elle vise avant tout, pour moi, à redonner du sens à l’action de l’Etat, d’une part, vis-à-vis des citoyens, d’autre part, vis-à-vis des fonctionnaires eux-mêmes. Les obligations de l’exécutif en matière d’information du public sur l’utilisation des deniers publics doivent être soutenues. La publication, dans des délais appropriés, d’informations sur les finances publiques est définie comme une obligation légale de l’Administration publique. Il s’agit d’une révolution copernicienne dans laquelle la gestion ne tourne plus autour des moyens mais, autour des résultats et qui nécessite une implication au plus haut niveau de l’Etat et une large mobilisation des équipes, du personnel et de leurs représentants. La fin du mandat des prochains dirigeants devrait connaître l’aboutissement de la mise en œuvre intégrale de la LOLF. Réforme dans laquelle l’on doit dépenser utile, pour tous les citoyens avec obligation de transparence et de redevabilité. La réforme est porteuse de développement accéléré et je ne doute pas que les nouvelles autorités vont œuvrer à son application effective d’ici au plus tard le 1er janvier 2017. Pour ce faire, au-delà des instances dirigeantes, il revient à la presse, aux partenaires sociaux et d’une façon générale à tous les acteurs de la société civile de participer à la diffusion des informations ainsi qu’au débat public sur la gouvernance et la gestion des finances publiques et à jouer leur rôle de suivi et de veille dans l’application de la LOLF dans le délai et pour le bien-être de la population.
Votre dernier mot.
Je ne saurais terminer sans adresser mes sincères remerciements à tous ceux qui ont contribué depuis la relance, en 2009, à l’avènement de l’adoption de cette réforme (la LOLF) : ils sont des acteurs externes (FMI, AFRITAC, Pôle stratégie développement PUNUD, la GIZ/MEF, le PARGES, le Trésor américain, l’UEMOA) et des acteurs des administrations du Burkina dont essentiellement de la Direction générale du Trésor et de la comptabilité publique et du Secrétariat du Comité de pilotage du budget programme de l’Etat (ST-CPBPE). Nous les sollicitons encore plus pour que l’application soit aussi un succès autant que son appropriation et son élaboration.